D’origine vietnamienne, née en Belgique, Thien Uyen Do a consacré une décennie à Bruxelles en tant que conseillère juridique spécialisée dans la lutte contre les discriminations, puis dans les réglementations relatives à la biodiversité et à la protection de la nature.
En 2018, elle opère un tournant décisif en rejoignant son compagnon dans le Bergeracois, sur le domaine viticole familial de Combrillac, situé dans l’appellation Rosette. Là, elle embrasse une nouvelle vie en devenant paysanne-cueilleuse et vigneronne. Elle s’engage activement dans la réintroduction de la biodiversité, conjuguant vigne et permaculture pour revitaliser le domaine.
Passionnée par les processus naturels, Thien Uyen Do se forme à l’art de la fermentation. Elle organise des ateliers dédiés à cette pratique, partageant son savoir-faire et sensibilisant à l’importance des micro-organismes dans notre alimentation et notre santé.
MICHRONIQUE – Fermentation rébellion. Petite philosophie de la fermentation
Elle a publié en octobre 2024 son premier ouvrage, Fermentation Rébellion : Petite philosophie de la fermentation, aux Éditions des Équateurs. Un essai qui explore la fermentation non seulement comme une technique culinaire, mais aussi comme une métaphore.Celle d’une transformation sociétale nécessaire, prônant une approche écologique, politique et sensible de notre rapport au vivant.
Dis-moi quelles bactéries tu manges ?
À Périgueux, nous la retrouvons pour évoquer son ouvrage et son métier de « fermenteuse. Et surtout, méfiez-vous: la fermentation est un processus universel, simple, que toutes les civilisations, quel que soit le pays ont pratiqué. Alors quelqu’un qui se présenterait comme spécialiste, non, ça n’existe pas ».
La fermentation est un processus biochimique au cours duquel des micro-organismes, comme des levures, des bactéries ou des moisissures, transforment des substances organiques, en particulier des glucides (sucres), en d’autres composés, souvent en l’absence d’oxygène. Tout cela intervient dans la fabrication d’aliments et boissons, comme le pain, le vin, la bière, le yaourt ou le fromage.
De cette méthode universellement connue et pratiquée, l’humanité a finalement posé les bases de principes alimentaires, faisant toute confiance à ces agents actifs pour faire tout le travail. « Sauf que dans l’industrie agroalimentaire, on observe cette tendance à éradiquer les micro-organismes par excès d’hygiène », insiste-t-elle. « Cela menace des écosystèmes microbiens indispensables dans notre organisme: la fermentation, c’est l’expression du vivant la plus simple. C’est un éloge de l’aléatoire et du lâcher-prise — loin du contrôle constant de notre époque. »
Les fermets sociétaux
Depuis que Pasteur a découvert que ce procédé chimique ne devait rien à un phénomène de mort, l’étude de cette microbiologie laisse encore de grands pans de vide. Après tout, théoriser l’invisible est déjà une idée joyeuse: comprendre comment les éléments seront reproduits ou non, plus encore.
Mais Thien Uyen Do relie surtout la fermentation à une réflexion politique et sociétale. « Les premières brasseuses furent des femmes, il faut s’en souvenir. » Et de lire dans une crainte, consciente ou non, du patriarcat la transition à une économie de productivisme et de rendement, et non plus de subsistance. « En instaurant une production, les femmes sont relayées à la dimension domestique. »
Et dans notre époque moderne, la redécouverte et l’appropriation, de la fermentation devient « un acte de résistance contre la standardisation industrielle de l’alimentation ». L’auteure y voit même « une pratique anti-capitaliste, écologique et féministe, favorisant la transmission des savoir-faire et la diversité culturelle. Ne nous y trompons pas: nous avons tous le pouvoir magique de nous rebeller et d’utiliser des bactéries pour transformer la nourriture ».
Notre bien commun
Inutile d’attendre donc que les groupes industriels s’en chargent et commercialisent cette manne, à portée de main. « La prochaine invitation que vous recevez, oubliez les fleurs et offrez un pain que vous aurez pétri, fait reposer, cuit: l’offrande, la transmission et l’intention sont bien plus fortes qu’un bouquet. Et cela, c’est la fermentation qui vous le permet », conclut-elle, plus que réjouie.
Bien entendu, si le processus a lieu de matière tout à fait naturelle, il n’en nécessite pas moins une vérification si l’on ne souhaite pas avoir quelques soucis. Mais une fois la méthode acquise, libre à chacun de travailler ses macrobiotes comme il le souhaite. « On parle là de notre flore intestinale, qui a besoin d’être forte et préservée », reprend-elle.
Et de citer en exemple une étude sur des souris ayant démontré que les microbes intestinaux orientent le comportement social d’une souris avec trouble autistique. De même qu’une rongeuse ayant un microbiote stérile arrêtera de fréquenter d’autres souris: l’estomac, cet autre cerveau, qu’il sera toujours mieux d’écouter…
Reste donc que les milliards d’euros de chiffre d’affaires à portée de main des industries, dans la production de kambusha et autres, sont « une atteinte au bien commun. Du kambusha, on peut tous en faire à la maison, alors ne nous en laissons pas spolier », exhorte l’autrice.
« Nous réapproprier les goûts, ne plus avoir peur du moisi que cela représente — alors que le fromage, nous sert déjà d’exemple —, c’est déjà se rapproprier ce qui appartient à l’humanité depuis toujours. »
Ou comment ne pas céder aux tendances ni au hype actuel…
Crédits photo : Thien Uyen Do - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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Par Nicolas Gary
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